DE L’engagement au changement
« N’est-il pas honteux que les fanatiques aient du zèle et que les sages n’en aient pas » ? (Voltaire).
Qu’est-ce qu’un art engagé ? L’engagement, si l’on conçoit ce substantif de manière instinctive, induit l’idée d’action, de mouvement, de direction, de sens. En réalité, la quête de sens est déterminée par une idée physique, puisque, selon la philosophie aristotélicienne et empirique : « Rien n’est dans l’esprit qui ne fût d’abord dans les sens. » Nous pensons et élaborons des concepts en relation directe avec ce que nous vivons et expérimentons. Mais ces concepts peuvent à leur tour introduire une dynamique de changement et participer de fait à une nécessité brute et vitale.
Que puis-je faire pour améliorer ma condition ? Quel sens vais-je donner à mes actes pour l’améliorer ?
L’œuvre d’art induit toujours ou presque une réaction (même le fait de « ne pas être sensible à » est déjà une expérimentation en soi), aussi primaire soit-elle.
La nature d’une œuvre d’art est assez libre puisqu’émanant d’un individu (malgré le fait qu’elle s’inscrive dans une dynamique sociétale et culturelle). Étant l’œuvre d’une pensée de manière ponctuelle, elle contourne le caractère holistique d’une civilisation, l’espace d’un instant, au moment où elle est reçue par un autre individu. C’est précisément lors de cet échange qu’un sens, une direction intervient : je questionne l’ œuvre qui me questionne en retour. Que puis-je être ? Que pouvons-nous être ? Que puis-je changer ? Que pouvons-nous changer ?
L’œuvre d’art a un potentiel de catalyseur, de mouvement, de sens, qui trouve son écho en l’homme, cet animal de progrès. Dans une société esthétisante à tous égards, dans l’acceptation des codes, quels qu’ils soient – manière de modeler son corps, de se vêtir, de se comporter, de se montrer, de penser, de parler, mais aussi et surtout de se soumettre, de se conformer à un modèle archétypal dans lequel le surmoi fait figure d’un Cronos dévorant ses enfants- quelle entreprise pourrait enfin permettre un refus, une fin de non-recevoir ?
Le mouvement ne vient jamais que d’esprits libres, donc de productions ponctuelles et authentiques d’individus oubliant momentanément le carcan et se dressant sur le seuil de l’instant, désir tout nietzschéen…
La création, qui intervient également dans le domaine scientifique, est issue de cette imagination omnipotente si chère à Einstein : c’est en imaginant un monde meilleur- et parce qu’une utopie est déjà un changement en soi- que l’on cesse de se résigner et d’accepter n’importe quoi.
Nous avons créé une société esthétisante parce qu’elle rassure et qu’elle offre un visage apparemment pérenne grâce à son immobilisme même. Mais il s’agit trop souvent d’ une société esthétisante passive qui ne fait que recevoir la multitude d’informations proposées. Elle n’est à l’heure actuelle que le témoin de notre époque.
Faire entendre sa voix, réintégrer un processus d’individuation (au sens jungien du terme : « le processus qui crée un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité« ), c’est retrouver une dynamique active, agissante.
L’artiste, quelle que soit sa spécialité, et bien que « se spécialiser soit rétrécir d’autant son univers », Debussy ), doit proposer cette fonction interrogative et agissante, tel un électron libre.
Au Brésil des années 80, pendant la dictature, ce sont les milieux artistiques et scientifiques qui se sont engagés pour le changement.
A bon entendeur…