L’Hermaphrodite

L’HERMAPHRODITE

Album paru chez le label Klarthe en mars 2020.
LaurianneCorneille_Hermaphrodite©AnneLouBuzot_WEB-11
Klarthe, 2020

L'Hermaphrodite

Ce disque Schumann est l’aboutissement d’une démarche artistique globale, plurielle, imaginant différents axes de lecture à travers notamment le symbole de l’hermaphrodite, figure mythologique masculine et féminine, à la fois brisée et unifiée.
Elle fait naturellement écho à la poésie du « double »schumannien, le « doppelgänger » : Eusébius et Florestan.

Ici, deux cycles se répondent : Les Kreisleriana et les Chants de l’aube, auxquels s’ajoute la pièce Widmung (initialement un lied de Schumann transcrit par Liszt), pensée comme une clef de voûte.
Modeler Eusébius le tendre, le lumineux, le poétique m’a semblé moins immédiat qu’emprunter les chemins sombres de Florestan, lequel apparaissait en premier, de manière immédiate.
Il s’agit de ce Schumann, décrit par Roland Barthes dans son texte Rasch extrait de L’obvie et l’obtus :

« Dans les Kreisleriana de Schumann, je n’entends à vrai dire aucune note, aucun thème, aucun dessin, aucune grammaire, aucun sens, rien de ce qui permettrait de reconstituer quelque structure intelligible de l’œuvre. Non, ce que j’entends, ce sont des coups : j’entends ce qui bat dans le corps, ce qui bat le corps, ou mieux : ce corps qui bat (…) Le battement schumannien est affolé, mais il est aussi codé (par le rythme et la tonalité); et c’est parce que l’affolement des coups se tient apparemment dans les limites d’une langue sage, qu’il passe ordinairement inaperçu (à en juger par les interprétations de Schumann). Ou plutôt : rien ne peut décider si ces coups sont censurés par le grand nombre, qui ne veut pas les entendre, ou hallucinés par un seul, qui n’entend qu’eux. On reconnaît ici la structure même du paragramme : un texte second est entendu, mais, à la limite, tel Saussure à l’écoute des vers anagrammatiques, je suis seul à entendre. »

Mais, en cheminant, si l’on comprend l’affolement des coups comme étant le négatif de la tendresse, alors on peut « traverser » – trouver Eusébius – et même accéder au Liebeslied ou Widmung, le chant d’amour. Là, RaRo parle : il est le troisième personnage inventé par Schumann, (contraction de son prénom et de celui de son épouse Clara) sa meilleure part, celle dans laquelle il se laisse pétrir par l’amour.

Les deux cycles qui s’inscrivent de part et d’autre de la vie de Schumann se répondent : les Kreisleriana sont une oeuvre de jeunesse inspirée par la littérature d’E.T.A. Hoffmann mais aussi une déclaration d’amour à Clara ; et les Chants de l’aube se présentent comme son chant du cygne, oeuvre écrite avant qu’il ne se jette dans le Rhin.
Selon les mots de Brigitte François-Sappey issus de son ouvrage de référence, Schumann :

« Les Kreisleriana sont l’œuvre repère de la cyclothymie, du double et de la folie ». (...) « Tous les signes cliniques de cyclothymie trouveront leur double exténué dans les Chants de l’aube. L’encéphalogramme sera alors presque plat, et les dernières ruades se perdront dans le vide béant. Les Kreisleriana semblent la chronique d’une mort annoncée ; Les chants seront presque une mort en direct. »

Revenons à la figure de l’hermaphrodite : il représente le couple d’opposés confondus. Et ce personnage « fêlé » mais Un, est mis en relief par le Kintsugi, art japonais consistant à réparer les faïences et les céramiques brisées à la laque d’or. C’est ce « fil d’or » qui apparaît dans le film réalisé par Gaultier Durhin et les photos d’Anne-Lou Buzot.
Le Kintsugi « dit » que l’objet cassé peut être sublimé, les brisures n’ont pas à être cachées. Cet art philosophique a nourri ma reconstruction après un accident survenu en 2017 : renversée par une voiture, j’ai notamment eu une clavicule brisée.
La nécessité vitale de parler, de chanter, de raconter cette fêlure à travers la musique de Schumann s’est imposée très rapidement après cet événement.

Crédits :
Anne-Lou Buzot pour toutes les photos du projet L’Hermaphrodite.
Myriam Greff pour la création du bol kintsugi.
Or Katz pour la peinture de l’effet kintsugi sur la peau et la touche de piano.